Cent ans de radiologie à Rennes

 Cent ans de radiologie à Rennes

Pr Alain Ramée

Avec la collaboration de J-J. Flaux

Le 8 novembre 1895 en Bavière, Röntgen professeur de physique à Wurzburg, travaillant sur les rayons cathodiques, découvre presque par hasard un rayonnement capable de traverser des corps opaques. Il enregistre quelques jours plus tard sur une plaque photographique la structure osseuse de la main de son épouse. Ne connaissant pas l’origine de ce rayonnement, il l’appelle X. Il présente sa découverte à ses collègues de Würzburg le 28 décembre et moins de trois semaines plus tard partout en Europe et dans l’est des Etats-Unis la même expérience est reproduite.

Le 4 mai 1898, la Commission administrative des Hospices Civils de Rennes confère au Dr E. Castex, professeur à l’école de médecine, le titre de chargé de service d’électrothérapie de l’Hôtel-Dieu. Celui-ci va adjoindre à son service de médecine un appareil de radioscopie et un de radiographie. Un pavillon spécifique pour la radiologie, construit grâce à un legs de Madame Veuve Lemonnier, est inauguré en 1910.

Pendant la première guerre mondiale le Dr Castex, est nommé médecin-major de 1ère classe, chef du service central d’Electroradiologie de la Xème Région Militaire.

En novembre 1918, le service possède deux appareils de radiologie, dont un modèle de la maison GAIFFE, qui doit être réparé pour une somme de 1250 Francs.

En 1921, le Dr Castex demande du radium pour effectuer des traitements anticancéreux et des crédits pour l’achat d’un appareil de « radiothérapie profonde à grande puissance, qui se pratique actuellement avec les tubes de COOLIDGE ».

L’hôpital de Pontchaillou est inauguré en 1908 et c’est dans le pavillon Clémenceau que sera installé de 1924 à 1935 le premier service de radiothérapie du centre anticancéreux.

En 1926, à l’hôpital militaire Ambroise Paré, le commandant Sieur est le précurseur de la « radioscopie systématique » dans le cadre du dépistage de la tuberculose pulmonaire en organisant un « laboratoire itinérant » sur camion pour se déplacer dans chaque garnison.

En 1929, il existe au moins une manipulatrice à l’Hôtel-Dieu puisque la Commission décide « d’une subvention annuelle de 2000 Francs à titre de participation au traitement de la manipulatrice du service de radiologie ». Le Dr Castex fait une demande d’achat d’un appareil « diaphragme oscillant » dit « Potter-Bucky » de marque Lasem des établissements Chenaille. Cet appareil vaut environ 5000 F et il argumente en écrivant que cet appareil représente un grand progrès dans la prise des radiographies délicates de la colonne vertébrale, des reins, de l’abdomen chez les femmes enceintes.

Le 21 décembre 1931, le Dr Castex qui avait subi de nombreuses radio dermites très graves, meurt d’une angine de poitrine. Son assistante à l’Institut Anticancéreux Mademoiselle Boulic décèdera en 1934 d’une anémie très grave occasionnée par les Rayons X. Le Dr Biret devient alors Chef de service d’électro radiologie de l’Hôtel-Dieu tout en étant radiologue de la clinique Sainte Anne. Deux manipulatrices l’aident dans le service. Par lettre du 14 novembre 1932 « Mesdames Tanvet et Menguy », manipulatrices, sollicitent une augmentation de traitement. On connaît même l’ordre de grandeur du salaire de ce personnel, puisque Madame Jeanne Ridard qui a sollicité un emploi de 2/4 manipulatrice en avril 1934, remplace pendant 4 mois Madame Tanvet avec un traitement de 750 F par mois.

Le « nouveau » centre anticancéreux est inauguré le 10 décembre 1936 par Mr Sellier, Ministre de la Santé. En 1954, sur décision du Ministère, il prend le nom de « Centre Eugène Marquis ».

Le 11 juillet 1940, l’armée allemande réquisitionne l’Hôtel-Dieu. La trace de ce passage est encore lisible aujourd’hui sur le mur du pavillon Lemonnier qui porte l’inscription « RÖNTGENSTATION » peinte sur une pierre d’angle. L’appareil Siemens qu’ils installent sera utilisé jusqu’en 1966. Les Américains les remplacent et laissent à leur tour 2 appareils qui serviront encore en 1973.

L’hôpital Ambroise Paré est Centre Hospitalier Civil pendant 4 ans. Le service de radiologie fonctionne avec le Dr Biret et son assistant le Dr Yves Loisance. En 1948, le Dr Yves Loisance ouvre rue St Hélier, le premier cabinet de radiologie privé, en dehors d’une clinique.

Le service de radiologie de l’Hôtel-Dieu vers 1960, comprend 4 salles de radiologie : le Dr Biret est chef de service, le Docteur Duchesne assistant, aidés de 6 à 8 manipulatrices. Les examens radiologiques avec contraste s’effectuent dans le noir, en radioscopie. Le développement des clichés est manuel. Le service de Radiothérapie du Centre Eugène Marquis comprend deux installations de radiothérapie pénétrante (une salle de 300 kV, une salle de 200 kV), un appareil de radiothérapie de contact, un appareil de télécuriethérapie. 1958. Le Professeur Guelfi ouvre le service de Médecine Nucléaire en 1966. Tous les services médicaux du CHR, sauf deux localisés à Pontchaillou, sont encore concentrés sur l’Hôtel-Dieu. Des locaux neufs mais partiellement inadaptés sont créés pour un nouveau service de radiologie dans les sous-sols près de la maternité. Le matériel a été récupéré dans le pavillon Lemonnier. Il est totalement obsolète : ainsi le tomographe pulmonaire est mobilisé à la main, toutes les scopies se font dans le noir absolu. En radio, seule, la réserve de films vierges est protégée par du plomb. Les manipulateurs travaillent sans tablier ni autre protection en tenant les malades pendant la prise de cliché. Deux tables sont dans une même pièce séparée par un rideau de tissu. Cinq types d’examens sont réalisés, TOGD, lavement, UIV, cholécystographie orale et cholangiographie intraveineuse. Tous les autres sont adressés aux cabinets de ville (Docteurs Duschesne et Sztabert) et en particulier les artériographies, déjà banales ailleurs. Les deux salles radiologiques de Pontchaillou dans le pavillon Ballé ne sont pas mieux loties. Le service de l’Hôtel-Dieu dispose également d’un stock de cinquante milligrammes de radium utilisé en cancérologie gynécologique et ORL et aussi d’UV, Infra-rouge, diathermie, ultra-sons thérapeutiques employés pour quelques malades par semaine. Les radiologues sont encore formés au radiodiagnostic aussi bien qu’à la radiothérapie. Un projet de radiothérapie a même été monté par la Commission Médicale Consultative et un appareil de radiothérapie à 200 kV acheté pour l’Hôtel-Dieu, mais la place a manqué pour l’installer.

La neurochirurgie localisée au Centre Eugène Marquis dispose de matériels radiologiques plus évolués, craniographe, tomographe et sériographe manuel pour les artériographies.

1968. Les radiologues hospitaliers sont trois, le Docteur Biret, le Professeur Jacques Simon arrivé en 1966 et un Chef de clinique. Le Docteur Biret prend sa retraite. On hésite un instant : faut-il vraiment recruter un radiologue pour l’Hôtel-Dieu ?

1969. A l’ouverture du bloc hôpital de Pontchaillou, 900 lits s’ajoutent et transforment le CHR. Le nouveau service radiologique de Pontchaillou dispose de quatorze salles, bien équipées pour les techniques modernes, et en particulier deux salles de radiologie vasculaire. Le niveau tant radiologique qu’hémodynamique cardiaque (Pr Pony) est devenu satisfaisant.

1970. Alain Ramée est nommé agrégé et chef du service de l’Hôtel-Dieu. Mais les deux services ont une activité commune où radiologues et internes vont prendre en charge les domaines cliniques, J. Simon et A. Ramée la neuroradiologie, A. Ramée et Michel Carsin la radiologie vasculaire et générale, J. Signargout la radiopédiatrie, J. Kernec les techniques pneumologiques. L’école des manipulateurs de radiologie qui restera la seule de la région Bretagne est créée : elle formera plus de 550 manipulateurs jusqu’en 1995.

De 1970 à 1972. Le Professeur Simon développe avec Philips un craniographe isocentrique révolutionnaire : le malade sanglé sur une chaise motorisée et sous anesthésie générale est placé dans toutes les positions, latéralement ou tête vers le bas après une rotation de 180° pour remplir sélectivement toutes les cavités cérébrales ; ce concept attire de nombreux visiteurs d’Europe, des USA ou d’Amérique Sud. La scanographie annoncée par Hounsfield en 1972 fait abandonner cette méthode spectaculaire et efficace, mais barbare.

1973 et 1975. Le matériel radiologique de l’Hôtel-Dieu est enfin mis à niveau : les examens digestifs utilisent une scopie télévisée. Radiogynécologie et mammographie, examens orthopédiques peuvent être développés. Le professeur Duval crée un service d’échographie qui s’étendra sur tout le CHR.

1978. Un scanographe crânien apparaît à Pontchaillou : le retard d’acquisition est délibéré ; on dispose ainsi d’un appareil de deuxième génération dont le temps d’acquisition d’une coupe est réduit à 80 secondes (en 1995 une coupe demande 100 fois moins de temps) ; cette machine restera en activité jusqu’en 1985. Les scanographes suivants arriveront en 1983 et 1988. La même année, l’accueil est déplacé au BUR réduisant de moitié l’activité de l’Hôtel-Dieu.

1980. Ouverture de l’Hôpital Sud avec un service de radiologie de six salles. Le service de l’Hôpital Sud acquiert sa personnalité tout en restant le centre d’une nébuleuse associée à l’Hôtel-Dieu et à trois antennes, la Massaye, la Tauvrais et le centre de soins dentaires. Le Professeur Scarabin, à partir de la stéréotaxie, méthode neurochirurgicale basée sur le traitement d’images radiologiques, entraîne des équipes de recherche extérieures ou universitaires dans la recherche sur l’image numérique et sur les réseaux d’images (à l’origine du projet SIRENE et du Centre Européen d’Imagerie à Usage Médical).

1985. Rennes est attributaire d’une des premières IRM françaises. L’échographie à Pontchaillou se rapproche de la radiologie.

1989. Un quatrième poste de PU-PH de radiologie est créé pour Régis Duvauferrier et Yves Gandon occupe peu après le poste laissé par le décès du Professeur J. Simon en 1991.

1993. La General Electric place à Rennes la première maquette active d’un principe révolutionnaire : le morphomètre 3D qui reconstruit un volume en une rotation alors qu’un scanographe ne reconstruit qu’une coupe par rotation. Les nouvelles techniques multiplient les machines, progressivement plus complexes et coûteuses consommant beaucoup de temps de médecins. Auparavant un médecin pouvait conduire 4/4 simultanément une UIV, une tomographie et un lavement baryté. Désormais les examens scanographiques, IRM, échographie, hystérographie, arthrographie, radiculographie, examens pédiatriques, sénologie, Doppler ne peuvent être partagés et de nombreux postes de travail sont ouverts simultanément. Les matériels comprenant 35 salles fixes de radiologie dont 9 matériels lourds, 21 appareils de radiologie mobiles, près d’une quinzaine d’échographes (sans compter les matériels situés en cardiologie ou blocs opératoires). Les effectifs ont crû progressivement au point d’atteindre en 1995, en comptant les échographistes, cinq PU-PH, deux MCU-PH, quatre PH, six CCA ou AH, et quinze internes. Cette expansion de la radiologie n’est pas propre à notre CHR. On peut rappeler qu’un « congrès sur l’avenir de la radiologie » en 1971, n’avait prédit ni échographie en dehors de l’obstétrique, ni le scanographe, ni l’IRM. On ne peut oublier le rôle universitaire du CHU, responsable de la formation de plus de 120 radiologues, français ou étrangers, organisateur de formations à l’échelle nationale en scanographie, IRM, échographie, informatique en radiologie et radiologie interventionnelle, entre autres.

La lettre médicale – CHR de Rennes – n°38 Décembre 1995