Témoignages autour de la poliomyélite

17 Octobre 2012

La poliomyélite est une maladie virale qui atteint une partie du système nerveux et qui peut être responsable d’handicaps moteurs. Elle a disparu en France suite à l’instauration d’une vaccination obligatoire en 1964.

Yvonne, Bernadette et Maurice ont contracté cette maladie dans leur jeunesse et gardent des séquelles graves, qui les obligent à utiliser un fauteuil électrique. Ils vivent actuellement dans un foyer logement. Hélyette, Madeleine G, Serge, Madeleine A les ont soignés lors de leurs longues hospitalisations.

Les premiers signes de la maladie

Yvonne avait 15 ans en 1959. Le premier signe dont elle se souvient, alors qu’elle accompagnait sa mère au lavoir municipal pour faire une lessive, est d’avoir trouvé l’eau anormalement glacée. Puis en allant aider à traire les vaches, elle a ressenti une grande fatigue qui l’a obligée à s’allonger. Les jours suivants, sont apparues une fièvre et une raideur de tout le corps. Le médecin appelé a conseillé une hospitalisation à l’Hôpital Pontchaillou de Rennes. Sa mère s’est exclamée : « Ah, non, pas Pontchaillou ». En effet l’hôpital Pontchaillou avait une mauvaise réputation à cette époque. « On mourrait à Pontchaillou », rappelle Hélyette.

Yvonne a donc été adressée à l’Hôtel Dieu. Mais en 2 à 3 jours, la maladie a progressé. Yvonne se rappelle qu’une grappe de raisin qu’elle avait dans la main est tombée puis qu’elle ne pouvait plus tenir un verre. Elle a alors été transférée « à l’isolement », à Pontchaillou où une ponction lombaire a objectivé une poliomyélite avec atteinte des méninges. A ce moment, elle se rappelle aussi que sa méningite la faisait « dérailler » : faire des cris d’animaux, chanter des cantiques…. Ensuite les paralysies se sont étendues et Yvonne a dû rester 3 semaines dans un poumon d’acier du fait de l’atteinte de ses muscles respiratoires. Yvonne dit qu’à cette époque, rien ne pouvait stopper l’évolution de la maladie et qu’il fallait attendre.

Elle nous rappelle comment se faisait le sevrage du poumon d’acier. L’infirmière mettait un réveil sur l’appareil puis elle sortait le brancard du poumon d’abord une minute, puis deux. « Cela nous semblait une journée, dit Yvonne. Quand on tenait 15 minutes, c’était bon. On pouvait quitter le poumon. »

La maladie de Bernadette a commencé alors qu’elle avait 19 ans, en 1963. Elle aussi a ressenti une grande fatigue, puis est apparue une faiblesse d’une jambe. Elle a été adressée à l’hôpital Pontchaillou. En une quinzaine de jours, la maladie s’est propagée aux deux bras et aux deux jambes. L’atteinte des muscles respiratoires a été « limite », ne nécessitant pas l’utilisation du poumon d’acier. Bernadette est restée hospitalisée 8 ans.

Maurice avait 22ans quand la maladie s’est déclarée, quelques semaines après son retour du service militaire. L’évolution a été extrêmement rapide car le lendemain de son admission, il était paralysé et a dû avoir une trachéotomie en urgence en raison d’une atteinte respiratoire et de difficultés de déglutition. Sa respiration était alors assurée par un appareil d’Engström. Maurice a ensuite été assisté par une cuirasse puis par un poumon d’acier la nuit.

Serge était kinésithérapeute dans le service des polios. Il fait remarquer que cette maladie avait une évolution imprévisible. Il se rappelle d’un malade qui avait une paralysie des deux bras et des muscles respiratoires mais de très bonnes jambes, d’autres étaient paraplégiques, d’autres n’avaient qu’une paralysie d’un bras. Au début de la maladie, il était impossible de prévoir l’évolution. Hélyette ajoute : « c’est ce qui faisait que l’on était si attentifs, on ne savait pas ce qui allait se passer ».

A cette phase aigüe, en dehors de l’éventuelle assistance respiratoire par les poumons d’acier, le traitement était très limité. Yvonne se rappelle avoir reçu du chlorure de magnésium et de l’aspirine. Madeleine dit qu’on lui demandait de faire boire beaucoup de café léger aux malades.

La poliomyélite vue par les soignants

Madeleine était infirmière de nuit. Elle se rappelle son arrivée dans le service. Il comportait deux étages : l’isolement, où étaient accueillis les malades à la phase aigüe de la polio ainsi que les coqueluches et les tétanos, et le service de polios chroniques. De nuit à chaque étage, il y avait une infirmière et une aide soignante et seulement un aspirateur de sécrétions bronchiques pour tout le service!

En 1960, 11 patients dormaient en poumons d’acier, répartis en chambres de 3. A son arrivée, Madeleine, qui n’avait jamais travaillé dans un service de polio, a été accueillie par Sœur François Jérôme. Celle-ci lui a dit : «Faites attention, si jamais il y a un mort, ce sera de votre faute ! ». Madeleine se rappelle : « Je crois que je ne me suis pas assise de la nuit. Toute la nuit, j’ai marché autour des poumons. J’écoutais les moteurs ».

L’angoisse des soignants était qu’il se produise une fuite au niveau d’un des  poumons d’acier car ceci signifiait un début d’asphyxie du patient. Dès que l’appareil sonnait, il fallait se précipiter à deux : une remettant en place le tuyau qui avait sauté, l’autre assurant la ventilation du malade.

Hélyette insiste sur la solidarité entre les membres de l’équipe : « Nous étions une vraie équipe. Un soir, Maurice n’arrêtait pas de sonner. Je vais voir et lui demande ce qui se passait. Maurice répond : « J’ai peur de mourir cette nuit ». Madeleine a proposé de rester à côté de lui, Ida a fait le travail des 2 étages et… Maurice s’est endormi »

La sœur responsable du service, une irlandaise avec un défaut de prononciation, était très compétente mais dure avec le personnel et les familles. Yvonne se rappelle que sa mère avait souhaité demander des nouvelles : La sœur lui avait répondu. « Votre fille ou elle va rester comme ça ou elle va mourir ». C’était très dur à entendre.

Les soins à la phase chronique de la maladie

A la phase chronique, les malades bénéficiaient de balnéothérapie. Serge raconte qu’il existait deux bassins, dont l’eau était changée tous les jours. Un bassin pour les patients allongés et un bassin de marche avec des barres. En 1960, on séparait hommes et femmes. Une semaine, les hommes avaient leurs séances de 8 h 00 à 9 h 30 et les femmes de 10 h à 11 h 30. La semaine suivante, c’était l’inverse. Yvonne et Bernadette disent qu’elles aimaient aller à la piscine car elles arrivaient à faire des mouvements. Serge rappelle que le personnel était mal équipé. Il n’y avait pas de treuils pour soulever le malade.

De même, les malades ne bénéficiaient pas d’un fauteuil roulant personnel. Les enfants avaient des fauteuils d’adultes, ce qui ne leur permettait pas une autonomie. Ces fauteuils étaient entretenus par le cordonnier de l’hôpital, qui fabriquait aussi les orthèses ou les corsets. Ce n’est qu’en 1968 que Maurice a pu se procurer un fauteuil électrique personnel. « C’était le 21 juillet, se rappelle-t-il, et il coûtait le prix d’une 2 CV ». C’était le premier fauteuil électrique du département. Odile et Bernadette ont eu le leur un peu plus tard. Elles ajoutent qu’elles n’imaginent plus être sans leur fauteuil électrique.

Les soignants avaient souvent besoin de solliciter aussi le serrurier Gégène et le menuisier Totor pour bricoler du matériel comme, par exemple, des panneaux basculants pour mettre les enfants debout. Pour la kinésithérapie respiratoire, Serge utilisait un barboteur, c’est-à-dire un récipient rempli d’eau dans lequel trempaient un tuyau inspiratoire et un tuyau expiratoire. Il chronométrait la durée des expirations.

Le professeur Leroy avait fait fabriquer par l’arsenal un lit basculant pour favoriser le drainage des sécrétions. Maurice se rappelle avoir utilisé ce lit à des périodes où il était très encombré. Il recevait aussi des piqures de soufre, très douloureuses, dont le but était d’assécher les secrétions bronchiques.

Pour favoriser la récupération musculaire, Serge utilisait des « patins ». Il s’agissait d’une gouttière sous laquelle était fixé un patin à roulette. Le malade plaçait soit un bras soit une jambe sur la gouttière et pouvait le déplacer plus facilement grâce aux roulettes. Madeleine ajoute que ce système était surtout sorti quand le Pr Leroy avait des visiteurs étrangers !

(pour voir une courte video, cliquer ici)

 

 

Les fêtes et les voyages

Tous les ans, le Professeur Louvigné, chef du service, invitait les membres du service et les malades chez lui à Paramé. Au début, les médecins faisaient les chauffeurs. Ensuite, le service a disposé d’un camion adapté.

A Noël, une fête réunissait l’équipe médicale, les malades et leur famille. Yvonne se rappelle que Madeleine lui avait apporté un peu de champagne qu’elle avait pu boire dans une louche. Elle se souvient encore du plaisir qu’elle en avait eu. Yvonne, Bernadette et Maurice soulignent qu’après plusieurs années d’hospitalisation, l’équipe des soignants était leur famille. En effet, les malades ne rentraient pas chez eux du fait des difficultés de déplacement et aussi de l’appréhension des familles. Madeleine souligne que dans le service des enfants, la famille était devenue plus ou moins la famille d’accueil. L’équipe soignante s’en était ému et avait institué un retour dans les familles à chaque vacance scolaire pour ne pas supprimer le lien affectif avec les parents. Cependant, il fallait aussi défendre la nécessité d’une hospitalisation prolongée et de la rééducation.

Serge se souvient que des étudiants en médecine et de jeunes salariés avaient créé le Club Espoir. Ils rendaient visite aux malades le soir, les emmenaient au cinéma, les sortaient quand il faisait beau. C’est eux aussi qui organisaient la soirée de Noël.

Un mariage a même eu lieu dans le service entre un malade et une jeune femme qu’il avait connue avant sa maladie.

Trois pèlerinages à Lourdes ont été organisés. Pour pouvoir emmener les patients avec leurs poumons d’acier, un wagon avait été spécialement aménagé. Les voyages étaient en partie financés par les dons recueillis par le père Audebert, qui avait lancé une souscription auprès de ses fidèles en faveur d’une jeune malade de sa paroisse.

Lors d’un pèlerinage, la pluie s’était mise à tomber. Les accompagnants se sont précipités pour abriter les malades mais l’un d’entre eux, Marcel, a dit : « Laissez-moi, je n’ai pas senti la pluie depuis des années » !

De même, Hélyette raconte qu’une des malades, Aline, dont elle faisait la toilette lui avait fait promettre de toujours lui tremper les mains dans l’eau, car « autrement, je n’ai plus aucun contact avec l’eau », de le faire pour tous les malades et de le dire aux autres soignants.

La sortie de l’hôpital

Yvonne est restée hospitalisée 14 ans, Bernadette 8 ans, Maurice 30 ans. Après autant d’années d’hospitalisation, la sortie était angoissante et devait être préparée.

Le professeur Louvigné a beaucoup œuvré pour mettre en place une scolarisation pour les enfants et une formation professionnelle pour les jeunes adultes. Yvonne et Bernadette en ont bénéficié et ont pu être embauchées comme secrétaires au CHU de Rennes.

Elles habitaient soit en appartement soit en foyer, où elles avaient une aide, mais au travail, elles devaient se débrouiller seules. « On ne nous a pas fait de cadeaux, il a fallu se battre, dit Yvonne. Nous travaillions à temps plein et nous utilisions les auxiliaires de vie au minimum car il fallait les payer ».

Actuellement en retraite, Yvonne, Bernadette vivent, comme Maurice, dans un foyer logement adapté.